Recherche

"Plomb sur la ville" à Columbia University : une coopération scientifique pour un enjeu de santé majeur

Le deuxième volet du workshop interdisciplinaire « Plomb sur la ville, Toxicité, mesures, régulations » a eu lieu le 30 octobre à New York, organisé par l’unité de recherche Lamont-Doherty Earth Observatory de Columbia University, aux côtés de la Chaire Santé-SHS de Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans le cadre du programme Alliance.

Ce workshop organisé par Lex Van Geen (Columbia University) et Judith Rainhorn (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) avait pour thématique l’évolution des priorités et de la réglementation aux États-Unis en matière d’exposition au plomb dans le logement et l’espace public. Lex Van Geen a précisé en introduction les attendus de cette rencontre, centrée sur la situation étatsunienne et la ville de New York, et Judith Rainhorn a rappelé quelques résultats du premier workshop, tenu le 17 mai 2024 au Sénat, notamment sur les échanges avec la sénatrice Anne Souyris qui a déposé en septembre dernier une proposition de loi visant à mieux encadrer la présence du plomb dans l’espace public.

Donner la priorité à la lutte contre les intoxications au plomb chez les enfants : des progrès majeurs aux États-Unis

Mary Jean Brown (Harvard T.H Chan School of Public Health) est intervenue sur l’intoxication au plomb chez les enfants aux XXe et XXIe siècles. Les premières préoccupations à ce sujet sont apparues entre 1891 et 1905 avec les 200 premiers cas de toxicité repérés chez des enfants. À partir du début du XXe siècle, quelques réglementations ont pu voir le jour même si elles n’étaient ni coercitives ni efficaces, en raison de la difficulté à évaluer la présence du plomb. Dans les années 1970, les agences de santé et les instances environnementales aux États-Unis se sont emparées du problème en développant des programmes locaux pour éliminer les intoxications au plomb causées notamment par la peinture à l’intérieur des bâtiments. À partir des années 1990, des mesures ont été prises au niveau des logements pour éliminer les risques de plomb dans les bâtiments publics, grâce à la loi de 1992 sur la réduction des risques liés au plomb dans les habitations.  Finalement, Mary Jean Brown dresse un bilan plutôt positif des politiques étatsuniennes de lutte contre le plomb dans l’espace urbain, constatant une diminution massive de la contamination des enfants dans le pays. Les seuils de tolérance ont d’autre part progressivement et drastiquement diminué. 

Des politiques locales mises en œuvre à plusieurs échelles

Récemment, des mesures énergiques ont été prises par le gouvernement des États-Unis pour remplacer des canalisations publiques en plomb dans différentes villes et états. L’étude de Michelle Marcus (Vanderbilt University) porte sur l’état du Rhode Island où les niveaux de plomb ont toujours été importants. Sur 25 000 systèmes de canalisations, 10 000 ont été remplacés entre 2006 et 2007. Parmi ces 10 000 remplacements la majorité concernent des canalisations publiques, les canalisations privées n’ont pas été remplacées le coût étant trop élevé pour les particuliers. Les résultats après les travaux ont révélé une diminution du taux de plomb dans le sang des habitants, surtout chez les enfants. Mais cette amélioration a une contrepartie problématique : l’augmentation conséquente du prix de l’immobilier dans les quartiers rénovés a entraîné de nombreux déménagements, les loyers étant devenus trop chers pour les populations qui y résidaient. À New York, des mesures ont également été mises en place pour surveiller l’exposition au plomb par les poussières et les peintures, suscitant la mise en conformité de nombreux logements (Yma Andres, NYC Department of Health and Mental Hygiene). 

"Le dernier kilomètre est le plus long à parcourir", Mary Jean Brown

Le plomb reste un enjeu de santé majeur aux États-Unis, pris très au sérieux par les autorités sanitaires à toutes les échelles décisionnaires (villes, états, État fédéral). L’essor des réglementations a pour corollaire une amélioration nécessaire des techniques de dépistage et d’analyse par les laboratoires. L’enjeu est également de saisir les expositions au plomb dans toutes les situations concernées : dans le logement, sur le lieu de travail, à l’école, mais également dans les comportements quotidiens liés à la consommation : médicaments, épices, cosmétiques, ustensiles de cuisine, etc. certains produits traditionnels importés (Géorgie, Bangladesh, Pakistan, Népal, Maroc, etc.) ayant des teneurs en plomb largement supérieures aux normes acceptées (Paromita Hore, NYC Department of Health and mental Hygiene). Mary Jean Brown a également insisté sur l’aspect essentiel de la coopération internationale pour que l’interdiction des peintures contenant du plomb soit appliquée partout à l’échelle globale. Lorsque la question est prise en charge par les pouvoirs publics, ce sont encore les comportements quotidiens qu’il faut essayer de modifier, ce qui nécessite parfois de mettre en place des pratiques d’accompagnement social qui peuvent être jugées intrusives.

Les chercheurs et chercheuses et acteurs et actrices de la santé publique réunis au cours de ce workshop ont estimé qu’il reste du chemin à parcourir en termes de réglementation aux États-Unis, même si la priorité a bel et bien été donnée dans certains états contre l’intoxication au plomb, ce dont on peut se féliciter. Malheureusement, le plomb étant un métal très toxique il est très difficile à éliminer (dans les peintures mais pas seulement) et il serait souhaitable de trouver des substituts adéquats pour certains équipements. La coopération scientifique est un élément clé en matière de santé, et cette recherche menée entre Paris et New York répond bien à cet enjeu : montrer les différences de prise en charge de ces enjeux qui opposent la France et les États-Unis, tant dans la recherche qu’en matière d’action publique, et engager un dialogue commun et interdisciplinaire.  

Judith Rainhorn et Lex Van Geen réfléchissent désormais aux formes de valorisation de ces deux workshops qui ont attiré plus de 60 participants.
Des informations sont à venir sur le site de la Chaire Santé-SHS de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 

Contenus liés

Recherche

Plomb sur la ville

Le premier volet du workshop interdisciplinaire « Plomb sur la ville. Toxicité, mesures, régulations »...