Defne Özözer, doctorante sans frontière

Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire ?

Defne Özözer : J'ai obtenu ma licence et mon master au département d'histoire de Boğaziçi Üniversitesi (université du Bosphore) à Istanbul. Durant cette période j'ai également participé à un programme d'échange au département des relations internationales de Sciences Po Reims. J'ai souhaité ensuite poursuivre mes études à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où j'ai commencé mon doctorat à la fin de l'année 2021 sous la direction de Laura Hobson-Faure. En 2022, dans le cadre du programme de doctorat européen Una-Her-Doc, j'ai entamé une cotutelle avec l'Université d'Helsinki et Riikka Tuori qui est ma codirectrice de thèse.

Vous faites partie de la première cohorte de doctorants Una-Her-Doc. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce programme ?

Defne Özözer : Ma directrice de thèse m'a recommandé ce programme en raison de mon fort intérêt pour les environnements de travail et d’étude internationaux. Je suis convaincue que nous immerger dans ces environnements a un impact positif sur notre épanouissement personnel et élargit nos perspectives professionnelles. J'ai été attirée par ce programme car il m’offrait une opportunité unique de confronter mon travail aux recherches et aux regards d'autres chercheurs universitaires. En m'engageant dans des disciplines comme l'anthropologie et la protection du patrimoine, je pensais acquérir une compréhension globale de mon sujet d’étude. Ce programme m'a également attirée car il m’offrait la possibilité de découvrir des projets de recherche menés dans d’autres pays. Et cela a été effectivement le cas, j’ai pu échanger avec des chercheurs italiens et polonais par exemple, et j'ai eu le plaisir et le privilège de participer activement à des discussions académiques dans plusieurs pays au cours des deux dernières années, en France, en Grèce, en Israël, en Turquie, en Espagne et en Finlande.

Quelles sont vos impressions après cette première année ?

Defne Özözer : Je crois que ce programme a un énorme potentiel pour créer un environnement d'apprentissage européen. Le défi à relever est de connecter des chercheurs et chercheuses issus de différentes traditions académiques et travaillant dans des langues différentes. Bien que chaque institution ait sa propre dynamique, elles s'unissent pour nous permettre de surmonter ces barrières. C’est un espace où différentes disciplines s'engagent dans des dialogues et contribuent au développement de résultats de recherche multidimensionnels.

Sur quoi portent vos travaux de recherche ?

Defne Özözer : Mes recherches portent sur la communauté juive de Salonique (connue sous le nom de Thessalonique), une ville du nord de la Grèce. Jusqu'aux guerres balkaniques, Salonique était sous domination ottomane, avant d’être rattachée au royaume de Grèce en 1912 et restée grecque depuis lors. Cependant, la formation des États-nations post-ottomans a été un processus complexe et Salonique était une ville confrontée à des disputes entre différents groupes. Le royaume grec a mis en place des politiques nationalistes pour helléniser la ville, ce qui a eu un impact considérable sur la population juive. Au cours de ce processus, de nombreux résidents juifs de Salonique ont émigré aux États-Unis, en France et en Palestine. Dans ma recherche, j'examine comment les Juifs de Salonique, à la fois dans leur ville d'origine et dans la diaspora, "sont devenus grecs". Je m'intéresse également à l'impact de leurs relations avec d'autres communautés juives post-ottomanes. Un exemple que j'étudie est la communauté juive d'Izmir, en Turquie.

Pourquoi cet intérêt particulier à ce sujet ?

Defne Özözer : Je trouve ce sujet fascinant car mes recherches dressent un tableau historique qui contredit les récits simplistes présentés par les historiographies nationalistes. L'histoire de Salonique est souvent présentée comme un conflit entre les Turcs et les Grecs, mais elle est bien plus complexe que cela. Malgré les difficultés auxquelles les archives ont été confrontées (tels que les incendies en 1899 et 1917, l'émigration et l'occupation nazie), la présence de la communauté juive de Salonique révèle l'existence de différentes identités, sentiments d'appartenance et traditions qui enrichissent son histoire. Salonique n'est qu'un exemple parmi tant d'autres villes historiquement multiculturelles, comme Istanbul, Bucarest et Trieste. Ce qui a initialement attiré mon attention sur Salonique, c'est mon intérêt de longue date pour son historiographie. Depuis mon plus jeune âge, j'écoutais les histoires de ma famille sur la ville, transmises de génération en génération. Ces histoires ont profondément ancré en moi une curiosité vis-à-vis de cette ville, me poussant finalement à suivre un chemin professionnel pour explorer son histoire.

Quels sont selon vous les principaux avantages à effectuer son doctorat en cotutelle ?

Defne Özözer : À mon avis, il y a trois principaux avantages à poursuivre un doctorat en cotutelle. Premièrement, les étudiants peuvent bénéficier de cours, d'événements académiques et d'opportunités d'enseignement, et devenir partie prenante des réseaux de deux universités au lieu d'une seule. Deuxièmement, bénéficier d’une supervision d’universitaires issus de deux pays différents offre une perspective internationale à ses recherches. Troisièmement, nous sommes évalués chaque année par un comité d'experts Una Europa supplémentaire qui comprend nos codirecteurs de thèse et deux autres universitaires issus de l’alliance. Cela permet d’avoir un suivi de notre progression par un comité international en plus des comités de nos universités.

Votre formation et vos recherches s’effectuent à l’échelle de toute l’Europe, vous parlez plusieurs langues, qu’est-ce-que vous apportent toutes ces mobilités, ces expériences interculturelles, en tant que jeune chercheuse et à titre personnel ?

Defne Özözer : Dans le cadre de mes recherches d’archives sur la communauté juive Salonique, je me suis retrouvée à travailler dans des environnements transnationaux, translinguistiques et interdisciplinaires. En tant que jeune chercheuse, ces mobilités et expériences interculturelles m'ont été extrêmement bénéfiques à la fois sur le plan professionnel et personnel. Elles m'ont permis de travailler et d'étudier dans des environnements internationaux, ce qui enrichit mon réseau académique et me donne l'occasion de me connecter avec des scientifiques et des étudiants de différents endroits ayant des liens avec les Selaniklis ! Sur le plan personnel, ces expériences m'ont aidé à développer mon adaptabilité, ma curiosité intellectuelle et ma compréhension des différences cultures. Plus important encore, en témoignant de ces contextes divers, chaque étape me rapproche de la compréhension de mes capacités, de mes valeurs et de mes aspirations dans la vie.

Quels sont vos projets et qu’envisagez-vous après votre doctorat ?

Defne Özözer : Après l'obtention de mon doctorat, je souhaite travailler en tant qu'enseignante-chercheuse. Je suis intéressée par une carrière dans la recherche, avec un accent plus marqué sur l'enseignement. J'apprécie énormément d'interagir avec les étudiants, en particulier les plus jeunes générations, car nous pouvons apprendre les uns des autres. De plus, j'envisage de participer à des projets communautaires visant à sensibiliser à l'histoire au-delà du milieu universitaire. Un thème potentiel pourrait être la recherche de réconciliation historique dans les régions en conflit. Les détails de ce projet seront décidés en temps voulu, en collaboration avec mes futurs étudiants !

Quels conseils donneriez-vous à un (une) étudiant(e) qui souhaite s’engager dans un doctorat en cotutelle ?

Defne Özözer : Je tiens à souligner que le parcours n'est pas facile, mais il est indéniablement gratifiant. Participer aux programmes de cotutelle Una Europa, qui impliquent une collaboration entre deux pays différents, élargit les perspectives de chacun en tant qu'individu. C'est pourquoi j'ai choisi l'Université d'Helsinki en Finlande comme deuxième université, car cela crée une synergie entre deux systèmes académiques très distincts. Cependant, il est important de noter que la cotutelle nécessite des efforts supplémentaires. Pour suivre un double diplôme, une planification minutieuse, une communication efficace avec les autres universitaires et une capacité d'adaptation aux changements constants sont nécessaires.