Les premières flûtes paléolithiques découvertes au Levant : Une petite musique vieille de 12 000 ans
Une équipe d’archéologues, d’archéozoologues et d’ethnomusicologues dirigée par Laurent Davin, préhistorien à l’UMR TEMPS (co-tutelle Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS et Université Paris Nanterre) et José-Miguel Tejero (Université de Vienne et Université de Barcelone) a découvert les premiers instruments sonores préhistoriques du Proche-Orient. Cette découverte, composée de sept petites flûtes fabriquées à partir d'os d'oiseaux perforés, présente de nouvelles preuves de l'existence d'instruments sonores paléolithiques. Et on peut même les écouter…
Ces petites flûtes ont fait beaucoup de bruit depuis l’annonce de leur découverte en juin dernier dans la Revue internationale Nature Scientific Reports. Un bruit qui n’est pas uniquement arrivé aux oreilles des scientifiques qui les ont étudiées, puisque la nouvelle a été très largement diffusée dans la presse française et internationale, notamment très récemment dans l’édition du New York Times du 28 août 2023 (article réservé abonnés). Grâce à une approche pluridisciplinaire par des analyses technologiques, tracéologiques, taphonomiques, expérimentales et acoustiques, l’équipe scientifique internationale dirigée par un ancien doctorant de notre université aujourd’hui membre de l’UMR TEMPS, a démontré que ces objets sonores ont bien été fabriqués intentionnellement il y a plus de 12 000 ans pour produire une gamme de sons similaires aux chants de rapaces et dont les objectifs pourraient être à la croisée de la communication, de l'attraction des proies et de la musique.
Étudier les derniers chasseurs-cueilleurs du Levant
Laurent Davin a effectué son doctorat à Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il a soutenu sa thèse en 2019 sous la direction de Boris Valentin. Il a ensuite obtenu un contrat postdoctoral de la fondation Fyssen effectué à l'Institut d'archéologie de l'Université hébraïque de Jérusalem et au Centre de recherche français à Jérusalem. Axés initialement sur l’étude des ornements de la période épipaléolithique, ses travaux recherches l’ont amené à effectuer des fouilles sur le site de Eynan-Mallaha situé en Haute Galilée, au Nord d’Israël. Fouillé depuis 1955 par des équipes franco-israéliennes, le site archéologique présente les ruines d’un hameau où ont été identifiées les premières habitations des communautés natoufiennes, populations de chasseurs-cueilleurs qui occupaient le Proche-Orient à la toute fin du Paléolithique, entre 13 000 et 10 000 avant notre ère.
Les sept instruments sonores ont été découverts sur les sols des habitations et dans leurs environs. Ils prennent la forme de flûtes en os de poules d’eau perforés. Toutes mesures moins de 10 cm. L’une d’entre elles est particulièrement bien conservée puisque qu’elle a été découverte complète, ce qui est rarissime.
Entre observations et expérimentations
C’est en examinant une collection d’os d’oiseaux prélevés sur ce site, que Laurent Davin a remarqué sur certains d’entre eux, de minuscules perforations présentes à intervalles réguliers. Il a alors l’intuition que ces trous ont été faits par des humains et que ces banals petits os sont en fait des instruments sonores. Pour tenter de le démontrer, Il va constituer avec José-Miguel Tejero, une équipe scientifique franco-israélienne pour analyser ces instruments et étudier la manière dont ils auraient pu être fabriqués. Bien entendu, lorsqu’on découvre ce que l’on pense être un instrument de musique à vent préhistorique, on a qu’une envie, c’est de souffler dedans… mais ce n’est évidemment pas possible. Alors, afin de ne pas abîmer les précieuses découvertes, les chercheurs ont décidé de reproduire une flûte à l'identique, à la manière des hommes préhistoriques. Armé d’un silex taillé, ils ont donc fabriqué des répliques expérimentales à partir d’os de canard colvert, espèce qui s’apparente le plus aux poules d’eau utilisées par les Natoufiens.
Ces expérimentations ont permis d’une part de reproduire la technique de fabrication des instruments, de confirmer l’hypothèse que les perforations sont bien d’origines humaines, et d’autre part de restituer leur son. La réplique produit un son très aigu, très perçant, qu’il est possible d’écouter ci-dessous :
Ce son a été ensuite comparé aux cris des 60 espèces d’oiseaux identifiées sur le site de Eynan-Mallaha. Les analyses expérimentales et acoustiques effectuées ont permis de mettre en évidence que ces instruments préhistoriques avaient été fabriqués pour imiter le chant de rapaces (l’Épervier d'Europe et le Faucon crécerelle). Les natoufiens accordaient aux rapaces une place symbolique privilégiée, comme en attestent les nombreuses parures composées de serres retrouvées sur le site. Les chercheurs font donc l’hypothèses que ces instruments ont pu être utilisés pour la chasse des faucons, ou alors pour la chasse avec les faucons (fauconnerie). L’hypothèse d’une fonction musicale n’est pas exclue par les archéologues, qui précisent que les recherches sur les fonctions de ces instruments sont ouvertes, et qu’elles pourraient intéresser des disciplines comme l’ethnomusicologie ou la psychoacoustique par exemple.
Une découverte archéologique majeure
Cette découverte fournit de nouvelles données importantes concernant l'ancienneté et le développement de la variété des instruments sonores préhistoriques en général et particulièrement à l'aube de la domestication des plantes et des animaux au Levant (Proche Orient) qui influencera, plus tard l’Europe. Pour les chercheurs, il s’agit d’une avancée scientifique majeure pour plusieurs raisons : Tout d’abord c’est une première, aucun instrument sonore n’avait à ce jour été clairement identifié dans toute la Préhistoire du Proche Orient et aucun instrument permettant d’imiter des chants d’oiseaux n’avait jusque-là été identifié pour des périodes aussi anciennes. Dans le monde, très peu d’instruments sonores préhistoriques ont été trouvés, la majorité des rares artefacts aujourd’hui connus proviennent d’Europe. D’autre part, les répliques expérimentales fabriquées par les chercheurs permettent d’écouter aujourd’hui, les sons que produisaient les derniers chasseurs cueilleurs du Proche Orient il y a plus de 12 000 ans.
Cette découverte en amènera sans doute d’autres du même type, grâce au réexamen des collections d’os d’oiseaux mis au jour sur d’autres sites du Proche-Orient et permettra ainsi de relancer la recherche sur une autre branche de l’archéologie, l’archéoacoustique.
Pour en savoir plus :
Bone aerophones from Eynan-Mallaha (Israel) indicate imitation of raptor calls by the last hunter-gatherers in the Levant – Laurent Davin (UMR 8068 TEMPS), José-Miguel Tejero (auteurs), Tal Simmons, Dana Shaham, Aurélia Borvon (UMR 7041 ArScan), Olivier Tourny, Anne Bridault (UMR 7041 ArScan), Rivka Rabinovich, Marion Sindel, Hamudi Khalaily & François Valla (UMR 8068 TEMPS) - Nature Scientific Reports, jeudi 8 Juin 2023.
Ces travaux ont notamment bénéficié du soutien de la fondation Fyssen et du ministère des Affaires étrangères. La fouille du site de Eynan-Mallaha est toujours en cours sous la direction de la chercheuse du CNRS, Fanny Bocquentin et du chercheur d’Israel Antiquities Authority, Lior Weisbrod.