Étudier les interactions entre le climat, les sociétés et les milieux naturels

Créé en 1969 à l’Institut de Géographie à Paris, le Laboratoire de géographie physique : environnements quaternaires et actuels (LGP UMR 8591) est une unité mixte de recherche sous tutelle de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de l’université Paris-Est-Créteil, du CNRS et de l’INRAP. L’unité rassemble aujourd’hui cinquante-huit personnels, dont trente-trois permanents. Elle compte dix-sept chercheurs CNRS et enseignants-chercheurs titulaires, cinq chercheurs de INRAP, deux du bureau d’études en géoarchéologie et paléoenvironnement Géoarchéon et huit ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA) qui assurent le soutien à la recherche. L’unité accueille vingt doctorants, tous soutenus par un contrat doctoral et quatre postdoctorants sous contrat. Treize thèses y ont été soutenues depuis 2017, soit plus de deux par an. Le LGP est l’une des unités de recherche à l’origine de la création du laboratoire d’Excellence Dynamiques Territoriales et Spatiales (LabEx DynamiTe) financé par le programme investissements d’avenir et géré par Paris 1 Panthéon-Sorbonne. A niveau formation, le laboratoire porte le master Dynamique des Milieux et Risques (Dynarisk) à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également fortement investi dans quatre autres parcours de master à Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Gestion Globale des Risques et des Crises (GGRC), Développement durable, Management Environnemental et Géomatique (DDMEG), Biodiversité Territoire Environnement (BioTerre), Quaternaire Préhistoire et Bioarchéologie (QPB) au Muséum National d’Histoire Naturelle. L’unité de recherche est hébergée depuis 2022 sur Campus CNRS de Thiais (94).

Emmanuèle Gautier est professeure en géographie physique à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle dirige le LGP depuis 2019, ainsi que le GDR Arctique : Enjeux pour l'Environnement et les Sociétés (CNRS INEE & INSHS) depuis 2017. Ses travaux de recherche concernent les hydrosystèmes fluviaux, en particulier leur réponse aux aménagements anthropiques et l’impact du changement climatique contemporain. Elle a été promue chevalier de l'Ordre national du mérite en 2023 pour son engagement consacré à l’enseignement et la recherche.

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Quel est l’ADN du Laboratoire de géographie physique ?

Emmanuèle Gautier : Notre ADN, c'est la mesure et les analyses de terrain, pour avoir une lecture la plus fine possible de l'évolution des milieux naturels en fonction des forçages climatiques et anthropiques, anciens et en cours. Notre activité consiste à produire des données primaires sur l’impact des changements environnementaux et sur les conséquences des activités humaines sur les ressources environnementales.  Nous sommes impliqués dans des recherches en lien avec des acteurs locaux, nationaux et internationaux de gestion et de protection de milieux naturels et anthropisés. Les équipes travaillent par exemple sur la reconstitution des paléoenvironnements quaternaires, l’évolution historique des systèmes hydrologiques, les effets du changement climatique global sur les environnements froids. Nous sommes particulièrement investis dans l’analyse et la gestion de la biodiversité et dans la patrimonialisation des milieux. Beaucoup de nos projets débouchent sur une application pratique, comme la mise en valeur d’un site naturel ou archéologique ou la restauration de cours d’eau par exemple. Depuis longtemps, nous participons activement à l’étude des risques naturels en renforçant nos recherches dans le domaine des sciences sociales autour des conflits, des vulnérabilités et de la reconstruction post-catastrophe.

Quelles sont les principales thématiques de recherche du LGP ?

Emmanuèle Gautier : Lorsque j’ai pris la direction de l’UMR en 2019 nous avons opéré un changement important dans l’organisation et l’animation de nos recherches. L’idée était de faire évoluer notre fonctionnement et de développer de nouveaux thèmes, aller chercher ailleurs, là où personne ne va.  Nous étions auparavant organisés autour de deux grosses équipes, l’une travaillant sur le passé, l’autre sur l’actuel. Aujourd’hui nous sommes structurés autour de cinq thématiques transversales : Réponses des environnements aux dynamiques climatiques quaternaires et impacts sur les peuplements ; Anthropisation, gestion des milieux et dynamiques paysagères ; Cryosphère actuelle, passée et future ; Risques, de l’évaluation des aléas aux réponses des sociétés ; Hydrosystèmes fluviaux et côtiers, gestion et restauration. Cette nouvelle structuration permet une meilleure synergie entre les membres de l’unité qui ne sont plus répartis dans deux équipes, mais dans plusieurs thématiques. Nos discussions à l’échelle des thèmes sont très importantes, elles favorisent l’émergence d’idées nouvelles et le développement de pistes vers lesquelles nous ne nous serions jamais allés avec un fonctionnement en silo.

En tant que chercheuse, sur quelles thématiques travaillez-vous ?

Emmanuèle Gautier : En ce qui me concerne, je me suis positionné sur deux thèmes dont les questionnements se recoupent. Je travaille beaucoup sur les cours d'eau, leur évolution à l'échelle historique, l'impact des grandes crues, la question du changement climatique. J’interviens donc dans la thématique sur les hydrosystèmes fluviaux. Mais j’interviens également dans la thématique sur la cryosphère, qui concerne l’étude de l'ensemble des masses de glace, de neige et de sols gelés présentes sur la Terre. La cryosphère est au centre des préoccupations de la communauté internationale du fait du changement climatique en cours. Nos recherches au LGP portent sur les réponses des milieux froids arctiques aux changements, ainsi que sur l’impact des changements de la cryosphère sur les sociétés. Nous travaillons également sur la question des risques liés à la fonte du pergélisol (sous-sol gelé en permanence), comme les avalanches, l’augmentation du niveau des mers, l’intensification des inondations d’origine fluviale. Je m’intéresse plus particulièrement aux interactions entre climat, pergélisol et fonctionnement des grands fleuves arctiques. En effet, dans les zones les plus froides du globe, la dégradation du pergélisol lié au réchauffement climatique entraîne des bouleversements majeurs dans le fonctionnement hydrologique et provoque des effets sur l’ensemble du vivant. Nous menions des travaux en Sibérie Orientale, la région la plus froide de l'hémisphère nord, où nous ne pouvons malheureusement plus aller en ce moment. Nous avons un nouveau projet au Yukon (Canada) soutenu par l’Institut polaire français Paul-Émile Victor.

Le LGP est reconnu pour sa production de données scientifiques, pouvez-vous nous en dire plus ?

Emmanuèle Gautier : En effet, une des spécificités de notre unité de recherche est de disposer de données de première main pour répondre à nos problématiques. Ce sont des données que nous prélevons sur le terrain ou qui sont issues de nos analyses faites en laboratoire. Outre celles produites pour nos propres programmes, nos données attirent de nombreux chercheurs extérieurs dans le cadre de collaborations scientifiques. Notre production de données repose sur cinq plateaux analytiques. Nos techniques d’acquisition sur le terrain sont très diversifiées, aussi bien pour les archives sédimentaires (techniques de carottages et de prélèvements, mesures géophysiques), que les archives biologiques (pollens, microrestes non polliniques, macro-restes végétaux, phytolithes et malacofaunes). Nos plateaux analytiques nous permettent à la fois d’acquérir des données in situ et de faire des analyses très précises de sédiments, de minéraux, de pédosédiments. Notre laboratoire de malacologie du Quaternaire est le plus important au niveau national et l’analyse des phytolithes (végétaux fossiles) est l’une des spécificités du LGP qui a été développée au cours de ces dernières années. Note plateforme d’analyses statistiques permet d’intégrer le traitement de données variées (mesures de terrain, enquêtes socio-économiques, données issues du Web par exemple) dans de nombreuses recherches. Enfin, la géomatique, la télédétection et la cartographie nous permettent d’acquérir des données topographiques GPS et DGPS ou par drone, de modéliser des phénomènes et des processus géographiques et d’effectuer du traitement d’image (photographie, vidéo, images satellite, lidar…). Par exemple, nous travaillons en ce moment sur la restauration de cours d'eau. Nous avons mis au point des systèmes de d’imageries par drone, qui nous permettent de gagner beaucoup de temps et nous apportent des résolutions d’images extrêmement fines.

^{Le LGP possède la plus grande collection française de malacologie du Quaternaire}

Quelles contributions les recherches du LGP apportent-elles à la question du changement climatique contemporain ?

Emmanuèle Gautier : Toutes nos recherches s’articulent autour d’enjeux majeurs sur l’environnement. Elles sont centrées sur les réponses des milieux continentaux aux changements environnementaux et leurs enjeux. Aujourd’hui, il y a notamment la question des sécheresses hydrologiques qui impactent nos ressources en eau et qui ont des effets sur les biocénoses. Nous ne sommes pas climatologues, nous analysons comment le climat actuel fait évoluer les milieux naturels. Nous travaillons par exemple en lien étroit avec les conservateurs de réserves naturelles qui sont extrêmement demandeurs de nos analyses, car leur stratégie de gestion va reposer sur des scénarios possibles d'évolutions futures. C’est de la recherche fondamentale. On s’intéresse également au passé, qui nous apprend beaucoup. Nous regardons ce que les climats passés ont provoqué sur les milieux, pour pouvoir anticiper des réponses aux problématiques actuelles et futures. La question du changement climatique contemporain nous mobilise en particulier dans les domaines de haute latitude, où l’amplification arctique déclenche des bouleversements majeurs. A titre personnel, je pilote le GDR Arctique qui regroupe une communauté de géographes, géologues, ethnologues, archéologues, écologues autour de la recherche sur les milieux et sociétés des régions arctiques et subarctiques. Nous travaillons sur des problématiques communes, notamment autour de la question du changement climatique. Au niveau des analyses, nous participons à de nombreuses collaborations nationales et internationales, nous sommes plusieurs à travailler notamment avec le Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement sur le plateau de Saclay qui possède des modalisateurs de climats et des spécialisations que nous n’avons pas en interne.

Sur quels territoires intervenez-vous ?

Emmanuèle Gautier : Nos territoires d’intervention sont très variés. En France nous travaillons beaucoup sur le bassin de la Loire et le bassin de la Seine, notamment au niveau des cours d’eau et les petites rivières urbaines en Île de France. Le nord de la France est un terrain de recherche important pour les spécialistes du Quaternaire. A l’échelle européenne, nous menons des projets en Allemagne, en Bulgarie, en Tchéquie, et en Turquie par exemple. Nous intervenons également en milieu tropical, en Indonésie où nous étudions les impacts environnementaux et sociétaux des éruptions volcaniques. Nous avons mené des programmes en Afrique de l’Ouest pour étudier les sécheresses au Sahel, des collaborations avec la Russie, dans le Caucase, en Sibérie Orientale, le Yukon et la Finlande... Des collègues travaillent en Norvège et en Islande sur l’étude des glissements de terrains associés au retrait des glaciers. Nous participons également à des grands programmes archéologiques sur des site mayas d’Amérique Centrale ou encore sur le site d’AlUla.

Quelles sont les dernières innovations déployées par vos équipes ?

Emmanuèle Gautier : Nous essayons continuellement de trouver des méthodes et techniques nouvelles, d’être inventifs, pour collecter et créer nos propres données. Nous avons par exemple mis au point une méthode de datation des loess (dépôts quaternaires d’origine éolienne) en exploitant les granules secrétés par les vers de terre. Nous avons déployé une méthode d’analyse des phytolithes en milieu forestier tropical. Nous relevons des données grâce à des drones avec la photogrammétrie et la construction de modèles numériques de terrain. Nous mettons au point actuellement un dispositif expérimental de mesure du transport sédimentaire, grâce à des plaques d’impacts positionnées dans le lit des rivières et nous travaillons également sur un système d’hydrophones pour mesurer le transport de solides dans les cours d’eau.

Comment inscrivez-vous vos activités de recherche dans la société ?

Emmanuèle Gautier : Dans la cadre de notre dernière évaluation Hcéres, nous avons recensé une centaine d’actions réalisées à destination du grand public. Il s’agit de conférences, de journées portes ouvertes, d’interventions en milieu scolaire, de participations à la réalisation d’expositions et à la valorisation du patrimoine géologique. Dans le cadre de nos projets, nous avons pour habitude d’organiser des réunions de restitution de nos recherches, avec les acteurs non-académiques et la population locale. Les membres du LGP sont fréquemment sollicités par la presse sur des sujets d’actualité liés aux risques catastrophiques (inondations, éruptions, accident Lubrizol), aux conséquences du changement climatique (fonte du pergélisol et remontée du niveau marin) ou au patrimoine géologique et biologique. Dans cette volonté de partager nos connaissances avec le grand public, je citerais également le film documentaire Viendra la mer réalisé par Marie Chenet (Paris 1-LGP) dans le cadre du projet ANR Digues, qui est à la fois un outil de recueil de témoignages et un support de médiation. Le jeu sérieux éducatif Ouragame piloté par Delphine Grancher (Paris 1-LGP) et réalisé en collaboration avec des collègues de Prodig et avec la promotion 2021/2022 du master 2 GGRC de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a été édité l’année dernière à partir des résultats du projet de recherche Tirex, lancé après les trois ouragans, Irma, José et Maria aux Antilles en 2017. Il vise à sensibiliser des collégiens aux défis de la reconstruction suite au passage d'un cyclone sur une île fictive. Le LGP a également une longue tradition de collaboration avec des acteurs institutionnels, privés et associatifs dans les domaines de l’archéologie préventive en charge de la sauvegarde du patrimoine culturel, de la gestion de l’environnement et de la protection de la biodiversité. Cela se traduit par des collaborations pour l’étude et la mise en valeur du patrimoine géologique et archéologique. Nous réalisons également des expertises pour le Conseil National du Patrimoine Naturel, l’OFB, les Agences de l’Eau. J’ai par exemple mis au point le protocole de suivi hydrologique des zones humides pour les sites gérés par les Conservatoires des Milieux Naturels.

Une dernière question plus personnelle, vous quitterez la direction du LGP fin 2024, quel regard portez-vous sur votre fonction de directrice et plus largement sur votre métier d’enseignante-chercheuse ?

Emmanuèle Gautier : Le LGP est une UMR passionnante. Moi, j’ai été nourrie dans ma jeunesse par les récits de Jack London et ce laboratoire m’a toujours fait penser à un attelage de chiens de traîneaux. Quand ils sont à l’arrêt les chiens sont surexcités, ils aboient, ils ne tiennent pas en place et dès que le musher donne l’ordre de partir, l’attelage fil tout droit. Le LGP c’est pareil, les idées fusent de partout, ça va dans tous les sens et dès qu’une ligne directrice est fixée, on avance tous ensemble. Au cours de mes études je ne percevais pas le métier d’enseignante comme une vocation. Je n’avais pas du tout prévu de faire une thèse, ce sont mes professeurs qui m’y ont poussée. Et une fois obtenu mon doctorat j’ai commencé à enseigner et j’ai trouvé cela passionnant. C’est un métier que j’aime beaucoup. Partager des connaissances, transmettre des savoirs aux jeunes est très enrichissant. Et je ne distingue pas les savoirs scientifiques des savoirs techniques, je parle de tous les savoirs. Je considère la science comme une forme de lutte moderne contre toutes les formes obscurantismes.

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En savoir plus :

> https://www.lgp.cnrs.fr
> https://hal.science/LGP