""
Recherche

Enfants-soldats, entre victimes et bourreaux. Projection-débat de "Wrong elements" de Jonathan Littell

L'équipe du projet ANR « Violences sexuelles et enfance en guerre » a organisé le 9 juin 2023 une projection-débat autour du documentaire Wrong elements en présence de son réalisateur Jonathan Littell (Prix Goncourt et Prix de l'Académie française en 2006)

 

Le documentaire Wrong elements, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes en 2016, revient sur le parcours d'adolescents, enrôlés de force à l’âge de 12-13 ans dans le groupe armé de la Lord Resistance Army (LRA) « L’Armée de résistance du Seigneur » qui sévit en Ouganda depuis 1989. Massacres et mutilations sélectives sont la « marque de fabrique » de la LRA, et surtout les enlèvements d’adolescents (plus de 60 000 en vingt-cinq ans), souvent pratiqués en masse dans les écoles ou les internats, pour recruter des nouveaux soldats et des « épouses ». Jonathan Littell s'est rendu en Ouganda pour rencontrer des jeunes gens, anciens enfants-soldats, à la fois victimes et bourreaux de cette époque. Avec quatre d’entre eux, Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa, il entreprend dans ce documentaire un voyage sur les lieux chargés de souvenirs, qui ont marqué leur enfance volée. Témoins et acteurs d’exactions qui les dépassent, ils tentent de se reconstruire et sont toujours les wrong elements que la société a du mal à accepter.

Invité par l'équipe du projet Violences sexuelles et enfance en guerre (VSEG), Jonathan Littell est revenu à l'issue de la projection sur la genèse de ce film et a discuté du phénomène des enfants soldats avec des spécialistes de la question : Céline Schmitt, porte-parole de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ; Kenny Raha, médecin gynécologue à l'hôpital de Panzi à Bukavu, République démocratique du Congo ; Manon Pignot, maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l'université de Picardie Jules-Verne ; Sonia Rolley, journaliste Reuters spécialisée sur la région.

Lors des échanges entre les intervenants, il a été notamment question du caractère très réaliste du documentaire. Ce qui a un vrai intérêt pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, puisque les témoignages qui parviennent ne passent pas par le crible de la réécriture. Le film montre des scènes de remémoration au cours desquelles les témoins rejouent leur passé, se retrouvent adolescents et refont de manière spontanée des scènes de la vie quotidienne. On peut y voir l'enrôlement qui survient et des lieux qui ont une charge traumatique très forte.

Pour Jonathan Littell, son documentaire questionne « la façon même dont on peut penser la notion de « bourreau », de « tueur », de « crime ». Que devient le concept de faute, de responsabilité, quand l’exécutant, enlevé enfant, devient, à l’intérieur du seul système de référence qu’on lui laisse, un tueur volontaire ? ».

Le projet VSEG

Le projet Violences Sexuelles & Enfance en Guerre (VSEG / ANR-22-CE53-0003) s’intéresse aux enfants exposés à une violence sexuelle massive et stratégique dans les conflits armés récents, qu’ils en soient victimes directes ou auteurs, ou nés du viol. Il vise à analyser ce phénomène massif et constitutif de crimes graves de droit international et à comprendre les différentes formes actuelles de cette violence, afin ensuite d’identifier les difficultés du droit et de la justice internationale à régir ces crimes. Sa finalité est de contribuer à la lutte contre l’impunité, en identifiant des moyens de mieux prévenir les actes, d’en sanctionner les responsables et de permettre la pleine réparation des victimes. Le projet entend répondre à trois questions étudiées de manière interdisciplinaire :

  • Le droit international appréhende-t-il de manière satisfaisante les formes et motifs de violences sexuelles contre les enfants ?
  • Comment mieux mettre en œuvre les différentes responsabilités, face à une impunité généralisée ?
  • Comment améliorer la réparation holistique des enfants victimes ?

Le projet VSEG s’appuie sur deux réseaux interdisciplinaires de chercheurs : La Chaire Mukwege consacrée aux violences sexuelles dans les conflits armés, constituée en 2019 autour du gynécologue Denis Mukwege (Prix Nobel de la Paix 2018), par des chercheurs belges, congolais, français, anglais, en médecine, en psychologie, en économie et en droit. Le programme EnJeu[x] enfance et jeunesse, composé de 80 chercheurs en sciences humaines et sociales et en santé travaillant sur le bien-être des enfants, leur agentivité et leur résilience.

Le projet ANR est porté par le Centre Jean Bodin (université d'Angers), l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne – ISJPS (université Paris 1 Panthéon Sorbonne/CNRS) et l’Université de Liège, en partenariat avec la Chaire internationale Mukwege. Il est coordonné par Bérangère TAXIL, professeure de droit public à l’université d’Angers, Isabelle FOUCHARD, chargée de recherche HDR au CNRS et co-responsable du Centre de droit comparé et internationalisation du droit de l’Institut des Sciences Juridiques et Philosophiques de la Sorbonne (ISJPS) et Adelaïde BLAVIER, professeure en psychotraumatologie à l’Université de Liège et directrice du Centre d’Expertise en Psycho-traumatisme et Psychologie Légale de Liège. L’événement, pluridisciplinaire et ouvert à toutes et tous, a été organisé par Coralie KLIPFEL, chercheuse post-doc du projet VSEG, et Martial MANET, membre du Réseau des jeunes chercheurs du projet.

VSEG - Violences Sexuelles & Enfance en Guerre