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Dispositif Cifre : une thèse entre l’université et l’entreprise

Retour sur la table ronde du 7 juin 2024 consacrée au dispositif Cifre (Convention Industrielle de Formation par la Recherche en Entreprise) organisée en partenariat avec l’Association Nationale de la Recherche Technologique (ANRT).

Destiné à présenter et promouvoir le dispositif Cifre auprès de la communauté universitaire de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, cet événement s’inscrit dans la volonté de l’université de renforcer les liens entre la recherche et les partenaires non-académiques avec le soutien de l’ANRT, acteur historique de la recherche et de l'innovation. Animée par Cécile Falies, vice-présidente chargée de la Recherche, la table ronde a réuni des jeunes docteures, une doctorante Cifre, des encadrants et des employeurs dont les témoignages ont complété la présentation du dispositif par Valérie Sibille, chargée de mission à l’ANRT.

Un pied dans les deux mondes

Le dispositif Cifre permet à un étudiant préparant une thèse de doctorat, d’avoir un pied dans le monde universitaire et un autre dans le monde de l’entreprise. Il bénéficie à la fois de l’excellence de la recherche académique, d’une formation doctorale, d’un emploi rémunéré, d’un cadre de travail privilégié et d’un réseau professionnel l’ouvrant à d’autres voies et perspectives. Le dispositif est également intéressant pour l’entreprise, qui bénéficie d’une expertise sur des sujets qui l’intéresse, et pour le laboratoire, qui établit ou renforce des liens avec un secteur particulier et des acteurs économiques.

En 2023, l’ANRT a accepté 93% des projets qui lui ont été adressés, ce qui correspond à 1760 allocations Cifre allouées pour l’année. 28% d’entre elles concernent des thèses en sciences humaines et sociales. Toutes les disciplines des SHS sont concernées, mais les plus représentées sont les sciences de l’information et de la communication, les sciences économiques et de gestion et le droit privé. Les doctorants et doctorantes intègrent majoritairement des PME et des grands groupes, mais on observe depuis 4 ans une présence en augmentation dans les collectivités, acteurs publics et associations. À la fin de la Cifre (toutes disciplines confondues), 1/3 des doctorants reste dans l’entreprise partenaire, 65% sont en emploi dans les 3 mois et 85% dans les 6 mois. 5 ans après la Cifre, entre 2/3 et 1/3 des doctorants travaillent dans le secteur privé, et entre 1/3 et 1/4 occupent une fonction dans l’ESR. Leur salaire annuel brut médian est compris entre 42 k€ et 50 k€.

À Paris 1 Panthéon-Sorbonne, plus de 200 thèses Cifre ont été menées depuis la mise en place du dispositif. Une quarantaine sont en cours dans des PME et des grands groupes comme Safran, des associations, des collectivités ou des institutions comme le musée du Louvre ou le SDIS du Val de Marne. À noter que deux thèses Cofra (Conventions de formation par la recherche en administration) sont également en cours, dont une au sein de la chaire ESOPS et la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), une direction de l’administration centrale des ministères sanitaires et sociaux.

Se construire de nouvelles compétences

De nombreux sujets ont été abordés lors de la table ronde. Les différents témoignages ont notamment mis en lumière les principaux intérêts et avantages à effectuer une thèse Cifre. Natacha Rollinde (docteure en urbanisme, thèse Cifre à Paris&Co entre 2018 et 2022) a mis en avant l’acquisition de nouvelles compétences. « En termes de missions, j’ai travaillé sur des projets de valorisation et de communication adaptés aux attentes et aux besoins des organismes accompagnés par l’association. Ma thèse Cifre m’a permis de développer des compétences en matière de formalisation de mon travail de recherche, qui étaient complémentaires à celles que j’étais un train d’acquérir au niveau universitaire. J’ai entre autres appris à pitcher mon projet, ce qui me sert beaucoup aujourd’hui. La Cifre m’a permis de porter un regard différent sur mon travail ».

Pour Camille Kovalevsky (docteure en histoire de l’art, thèse Cifre à la maison Chloé entre 2018 et 2021), le choix de l’entreprise et l’aspect financier ont pesé dans sa décision de faire une Cifre. « La Cifre me donnait la possibilité d’être rémunérée par l’entreprise sur laquelle portait justement ma thèse. Il y a peu de contrats doctoraux en histoire de l’art, donc cette question très pragmatique du financement a été pour moi importante. Chez Chloé, je travaillais au service Patrimoine qui regroupe toutes les archives de l’entreprise, j’avais donc ce grand avantage d’être au contact des objets qui constituaient mon matériau d’étude pour ma thèse. Je travaillais sur la gestion des collections ainsi que sur la construction et le suivi de production de projets culturels. Ce n’était pas du temps consacré purement à ma thèse, mais ces missions y étaient intimement liées. Elles ont complétement nourri ma recherche et m’ont permis d’acquérir de nouvelles compétences ».

Pour Lucy Pfliger (doctorante en sciences économiques, thèse Cifre à France générosités depuis 2023), l’entreprise lui apporte un réseau et des données pour construire ses recherches. « Au-delà des compétences acquises, l’avantage de faire sa thèse en entreprise est de pouvoir se constituer un réseau. France générosités me permet de rencontrer beaucoup de monde et notamment des chercheurs qui travaillent sur ce sujet un peu particulier qu’est la philanthropie et le don aux associations. Des personnes que je n’aurais certainement pas eu l’occasion de rencontrer dans mon unité de recherche. De plus, dans le cadre de mes missions j’ai directement accès aux données centralisées par France générosité, je peux les exploiter pour ma thèse et suivre les tendances du secteur ; c’est une vraie richesse ».

Du côté des entreprises aussi, l’accueil d’un ou d’une futur(e) docteur(e) est bénéfique, comme en témoigne Domitille Dezobry, responsable du programme alimentation durable à Paris&Co entre 2020 et 2022. « Nous avons au sein de Paris&Co un observatoire qui permet d’approcher des sujets avec des expertises différentes. Un outil intéressant pour des thèses Cifre. Lorsque Natacha est arrivée nous étions aux prémices de cet observatoire. Il est aujourd’hui beaucoup plus structuré, avec un modèle économique, ce qui pour nous était un enjeu majeur. Natasha y a contribué en apportant des écrits ayant une portée universitaire, tout en sachant en même temps s’adapter pour produire également des livrables sur un format startup, avec un jargon et des codes particuliers. Cela nous a permis de diversifier les tonalités tout en donnant systématiquement du fond à toutes nos analyses. Et c’était pour nous une très bonne manière de nous démarquer de nos concurrents ». 

Pour Laurence Lepetit, déléguée générale de France générosités, « les missions de Lucy sont directement liées à son sujet de thèse, puisqu’elle travaille à la production d’études sur les collectes de dons. Ce qui est également fertile c’est que nous bénéficions de son expertise. Nous grandissons, dans notre mission de développement des études et de la recherche, avec Lucy. Notre directrice des études est son manager direct, elle est totalement intégrée dans son équipe. De plus, nous avons décidé d’accueillir une stagiaire pour la renforcer sur ses missions, Lucy est donc devenue elle-même manager ».
 

Diriger une thèse Cifre

La question de l’encadrement scientifique de la thèse a été abordée avec Camille Chaserant, maître de conférences HDR en sciences économiques, présidente de la Chaire ESoPS, qui codirige la thèse de Lucy Pfliger. Pour elle, « l’encadrement d’une thèse Cifre n’est pas différent de celui d’une thèse standard. Le ou la doctorant(e) Cifre bénéficie de la même formation doctorale, a un comité de thèse et un comité de suivi et fera une soutenance ». Ce qu’a confirmé Natacha Rollinde. « J’ai mené une thèse exactement sur le même format qu’une thèse classique, j’ai appris à rédiger des articles scientifiques, j’ai suivi des séminaires. Ma thèse a été en tout point identique à une autre en matière d’exigences universitaires ».

Pour Camille Chaserant, les doctorants Cifre ont cependant quelques particularités qui leurs sont propres. « On constate qu’ils développent de fortes capacités d’organisation et d’adaptation, puisqu’ils doivent partager leur temps entre leur laboratoire et leur structure d’accueil, entre leur formation et leurs missions. Je remarque également que leurs projets sont beaucoup plus mûrs et plus coconstruits, au moment de démarrer la thèse, que dans le cas d’un projet présenté à un concours doctoral standard ». À titre personnel, la chercheuse trouve également de nombreux avantages à encadrer une thèse Cifre. « C’est très fructueux car il y a un respect mutuel avec la structure d’accueil et un engagement commun au sein d’un projet. Et puis, cela permet de travailler sur des projets pluridisciplinaires, car la demande sociale, elle est toujours pluridisciplinaire. Même si la thèse de Lucy est une thèse en sciences économiques et qu’en tant qu’encadrants nous devons veiller à ce qu’elle acquière tous les canons académiques de sa discipline, il est intéressant d’aborder son projet dans la pluridisciplinarité, dans un esprit d’ouverture. Et cela, une thèse Cifre le permet ».

Après la Cifre

Natacha Rollinde effectue actuellement un postdoc au Muséum National d'Histoire Naturelle sur des sujets de gestion de la propreté urbaine, elle s’oriente vers une carrière dans la recherche et l’enseignement.  « Après ma thèse, j’ai préféré continuer dans le champs universitaire. Mais dans la construction de mes projets de recherche, dans la rédaction de mes candidatures à des postdoc ou des postes de maître de conférences, mon expérience Cifre est quelque chose que je mets beaucoup en avant car en urbanisme, il y a toujours une réflexion sur l’action et l’opérationnel ». Camille Kovalevsky a elle aussi rejoint un postdoctorat au sein de la nouvelle chaire de professeur junior Fashion Heritage occupée par Emilie Hammen à l'HiCSA (Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Elle poursuit, en complément, des activités en indépendante pour des patrimoines de maisons de couture ou des musées de la mode. Elle s’oriente plus vers un projet professionnel dans le secteur privé. Lucy Pfliger va elle entamer sa troisième année de Cifre avec en perspective l’écriture de sa thèse et de préparer sa soutenance. Une période intense qui nécessitera sans doute des adaptations au sein de sa structure d’accueil.

Opiniâtreté, souplesse, curiosité, intensité, expérience humaine, fertilité croisée et transversalité sont les mots clés choisis par les six intervenantes pour qualifier une thèse Cifre. Une expérience riche sur le plan scientifique comme sur le plan professionnel, gratifiante et valorisante et qui peut être aussi une aventure collective, comme l’a souligné Laurence Lepetit, « on est en thèse ensemble ».


D’autres actions de promotion sont envisagées pour sensibiliser les étudiants au dispositif Cifre, notamment dans le cadre de la semaine #P1PS Entrepreneuriat et le Forum Objectif Emploi organisés chaque année par le bureau d'aide à l'insertion professionnelle (BAIP) de l’université.

Le principe d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche en Entreprise

Le dispositif Cifre repose sur l'association de quatre acteurs.

L'entreprise recrute en CDI ou CDD (articles D. 1242-3 & 6 du code du travail) un diplômé de niveau master à qui elle confie une mission de recherche. Les travaux constitueront l'objet de la thèse du salarié-doctorant. Le salaire d'embauche est au moins égal à 24 529,44 € annuel brut. L'employeur s'engage à respecter les conditions salariales fixées par le ministère selon le calendrier suivant pour le salaire brut annuel minimum : en 2023 : 24 529,44 € ; en 2024 : 25 200 € ; en 2025 : 26 400 € ; en 2026 : 27 600 €.

Le laboratoire de recherche académique encadre les travaux du salarié-doctorant, à ce titre ce dernier est inscrit dans l'école doctorale de rattachement du laboratoire. Arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat.

Le doctorant consacre 100% de son temps, partagé entre l'entreprise et le laboratoire académique, à ses travaux de recherche. Il bénéficie d'une double formation académique et professionnelle.

L'ANRT contracte avec l'entreprise une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (Cifre) sur la base de laquelle une subvention est versée à l'entreprise. La subvention annuelle est portée à 14 000 € (non assujettie à la TVA). À cette subvention peut s'ajouter le crédit d'impôt recherche (CIR).

L'entreprise et le laboratoire établissent, au plus tard dans les six mois qui suivent le début de la Cifre, un contrat de collaboration de recherche qui stipule les conditions de déroulement du partenariat et notamment la méthodologie de recherche, les lieux d'exercice du doctorant, les questions de confidentialité, propriété intellectuelle... Un rapport d'activité annuel, signé de l'entreprise, du laboratoire et du doctorant, est remis à l'ANRT.

Votre contact Cifre à l’université : Direction de la Recherche et de la valorisation (Direval) : cifre@univ-paris1.fr