Développer et protéger le patrimoine des périphéries urbaines européennes
Après quatre séminaires organisés à Cracovie, Edimbourg, Bologne et Madrid, c’est à Paris que les membres des équipes de recherche transnationales en Patrimoine culturel d’Una Europa se sont retrouvés les 5 et 6 juin 2023 pour, d’une part clôturer le projet Teams4Her et d’autre part inaugurer le programme européen CUMET financé dans le cadre du Joint Programme Initiative on Cultural Heritage.
Organisée dans le cadre des activités de l'alliance Una Europa, la conférence internationale Cultural Heritage at the Urban and Metropolitan Peripheries a rassemblé pendant deux journées à l’INHA un panel de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et de doctorants issus des sept universités d’Una Europa partenaires des projets de recherche sur le patrimoine culturel. Créé dans la continuité du programme Cultural Heritage at the Edge - CUTE, le projet Teams4Her (Una Chair, Seed funding Una Europa) a approfondi la recherche dans la thématique du patrimoine dans les périphéries urbaines. Porté par María García-Hernández, professeure de géographie humaine à l’université Complutense de Madrid, et coordonné par Maria Gravari-Barbas, professeure de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le projet a impliqué 150 chercheurs européens répartis dans quatre équipes thématiques : le patrimoine des mobilités et des migrations ; le patrimoine et la numérisation de la société ; le capital social, le bénévolat et le patrimoine ; la conservation du patrimoine culturel.
Un manifeste pour le patrimoine des périphéries urbaines
Les vestiges et patrimoines hétérogènes des banlieues sont progressivement reconnus par les autorités locales, métropolitaines et régionales comme des atouts sur lesquels il est possible de construire des scénarios nouveaux et plus inclusifs pour le développement local, en facilitant une intégration plus étroite des valeurs économiques, sociales et symboliques. On constate par exemple que la transformation d'anciennes usines en espaces culturels et de loisirs, attire de nouveaux résidents et de nouveaux visiteurs dans des zones autrefois stigmatisées. La formation de communautés de migrants a transformé certaines périphéries en quartiers ethniques dotés de leur propre patrimoine immatériel. On voit également émerger de nouveaux modes de présentation du patrimoine (des musées, des laboratoires vivants, des expériences numériques) liés à la valorisation d’éléments industriels, d’espaces verts, de logements sociaux, de patrimoines immatériels, de sites archéologiques et de mémoires historiques.
Les chercheurs et chercheuses impliqués dans les projets CUTE, puis Teams4Her l’ont soulevé dans leurs différents travaux, les périphéries urbaines sont cruciales pour la métropolisation contemporaine. Le patrimoine des métropoles européennes bénéficie d’un intérêt croissant, mais tout en étant particulièrement vulnérable face au besoin de nouveaux développements (infrastructures, logements). Ce constat a amené les chercheurs à produire un manifeste pour le patrimoine des périphéries urbaines sous la forme d'un document d'information présentant 5 grands principes et 23 propositions d’actions destinées aux communautés, aux organisations patrimoniales et aux gouvernements locaux et centraux en Europe.
CUMET : un projet participatif, avec et pour la société
La conférence de Paris a été également l’occasion d’inaugurer le projet Cultural Heritage in the Metropolitan peripheries (CUMET), financé dans le cadre du Joint Programming Initiative on Cultural Heritage and Global Change (JPI CH). Dirigé par Paris 1 Panthéon Sorbonne, le projet réuni l'Université d'Edimbourg, l'Université Complutense de Madrid et dix partenaires associés dans les trois métropoles cibles du projet : Paris (Institut Paris Région, Plaine commune, Conseil départemental Sein Saint-Denis, Association pour un musée du logement du Grand Paris - AmuLoP) ; Madrid (Junta Municipal de Usera, Ayuntamiento de Madrid, Asociación Instituto Mujeres y Cooperatión, ICOMOS España, AERIN SISTEMAS) et Édinbourg (Granton Hub, Edinburgh Word Heritage, National Galleries Scotland).
Maria Gravari-Barbas, coordinatrice scientifique du projet, professeure de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Directrice de l'EIREST (UR 7337) présente plus en détail ce projet européen qui s’inscrit dans la continuité des activités de l'alliance Una Europa sur le thème du patrimoine culturel.
Quel est l’objet du projet CUMET et quels en sont les objectifs ?
Maria Gravari-Barbas : CUMET vise à analyser deux phénomènes parallèles mais souvent concurrents : d’une part, l'intérêt croissant de divers acteurs pour le patrimoine culturel situé dans les périphéries métropolitaines des villes européennes ; et d’autre part, le besoin de nouveaux développements (infrastructures, logements) dans la périphérie des métropoles européennes, qui se traduit par des pressions de densification sans précédent et par un renouvellement important du tissu urbain existant. La conjonction de ces tendances crée à la fois des opportunités et des risques pour le patrimoine culturel dans les périphéries métropolitaines. Le projet pose les questions suivantes : Comment pouvons-nous créer de la valeur sur le patrimoine des périphéries urbaines, en encourageant de nouveaux scénarios de développement tout en protégeant le patrimoine ? Quels sont les mécanismes et les outils nécessaires pour impliquer les communautés locales dans l'élaboration de la politique du patrimoine culturel dans les périphéries urbaines ? Comment ce patrimoine peut-il être utilisé comme un moyen de promouvoir la justice spatiale et l'équilibre entre les différentes zones de la ville ? Le projet aborde ces questions dans le contexte de 3 métropoles : Paris, Madrid, Edinburgh.
Quelle(s) méthodologie(s) allez-vous mettre en œuvre ?
Maria Gravari-Barbas : Les méthodologies sont essentiellement qualitatives et reposent sur une cartographie détaillée des dynamiques patrimoniales dans les 3 contextes métropolitains, l’observation et des entretiens avec des acteurs locaux (preneurs de décisions, habitants société civile, acteurs économiques…). Un plus petit nombre d’éléments patrimoniaux seront sélectionnés, issus de la cartographie et des échanges avec les acteurs, qui alimenteront un Observatoire du patrimoine des périphéries urbaines, à la fois matériels et immatériels. Celui-ci abordera surtout les aspects dynamiques de leur patrimonialisation et focalisera sur les négociations entre acteurs, les tensions, ou les conflits. Les dynamiques métropolitaines se construisent avec, mais aussi parfois contre le patrimoine des périphéries urbaines et c’est précisément ces évolutions parallèles, mais souvent opposées, que nous cherchons à saisir. L’Observatoire du patrimoine des périphéries urbaines se veut un outil pérenne, au-delà donc des 3 années du JPI CH, et inclusif. Par ailleurs, neuf ateliers de cocréation seront organisés pendant la durée du projet (un atelier par an dans chacune des trois villes), autour d'un petit nombre de cas emblématiques du patrimoine. Les études de cas seront sélectionnées en concertation avec les acteurs locaux. L'objectif des ateliers sera d'évaluer les processus de mise en valeur du patrimoine, leurs impacts, la position des habitants ; de réfléchir collectivement aux outils de développement économique et social local basés sur la culture des périphéries urbaines ; ainsi qu’aux possibilités et alternatives de mise en valeur du patrimoine. Les résultats seront restitués dans la cadre d’une conférence internationale organisée à Paris.
Quels sont les impacts attendus ?
Maria Gravari-Barbas : Le projet aura un impact local très direct grâce à des ateliers de cocréation organisés sur des sites clés du patrimoine urbain périphérique, conçus pour aider les acteurs institutionnels et communautaires à imaginer et à interroger des stratégies innovantes pour (re)développer les sites patrimoniaux, en alimentant directement les initiatives locales. Le matériel empirique et persuasif produit par les ateliers sera conçu avec la participation de la communauté pour s'adresser à des publics plus larges, invitant et promouvant des citoyens "avertis en matière de patrimoine", désireux et capables de participer aux processus de patrimonialisation et de métropolisation. En outre, nous prévoyons que la plateforme d'observation en ligne créée dans le cadre de ce projet puisse servir de ressource ouverte pour les parties prenantes des nombreux sites urbains périphériques qui sont confrontés à des défis et à des opportunités similaires, mais qui n'ont pas accès à une vision plus large des problèmes auxquels ils sont confrontés et des discours qui les entourent. Le projet prévoit également la production de matériels pédagogiques et de médiation, en relation avec les acteurs locaux, pour être utilisé avec des publics ciblés (écoles, habitants locaux, visiteurs) définis lors du dernier atelier de cocréation. Ces supports seront également diffusés avec l'aide des acteurs locaux.
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