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Création, démocratie, numérique : lancement du projet DEM'ARTS

La séance inaugurale du séminaire DEM’ARTS s’est déroulée le 8 octobre dernier au centre Panthéon de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avec les interventions de Sandra Laugier (ISJPS) et Yann Toma (ACTE).  

Le projet DEM'ARTS

Lauréat de l'appel à projet institutionnel Sob’Rising en 2023, DEM’ARTS est un projet issu de la collaboration entre deux unités de recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : l’Institut ACTE (Arts, Création, Théories, Esthétique) et l’ISJPS (Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne). Cette initiative portée par les différentes équipes de recherche, associe également la New York University , le CRI (Centre de Recherche en Informatique) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et le JFLI (Japanese-French Laboratory for Informatics). Sous la responsabilité de Sandra Laugier, professeure des universités à l’ISJPS, l’équipe scientifique est composée de Miguel Almiron (PR), Barbara Formis (MCF HDR), Aurélie Herbet (MCF), Yann Toma (PR) et Azadeh Nilchiani (post-doc) pour ACTE, Philippe Codognet (PR) pour le JFLI et Camille Salinesi (PR) pour le CRI. 

Démocratiser l'art par le numérique 

DEM'ARTS est consacré aux rapports entre arts et démocratie au prisme du pragmatisme et des nouvelles technologies. À l’origine, les réflexions et le travail des membres de l’équipe scientifique portaient sur la relation entre art et pragmatisme. En intégrant la dimension numérique, ces réflexions ont pu être élargies sur la relation cette fois-ci entre art, pragmatisme et numérique. En effet, les publics de l’art se sont transformés depuis la fin du siècle dernier et cette démocratisation de l’art prend un tournant nouveau à l’heure du numérique. L’objectif est de voir « comment le numérique a changé nos comportements y compris dans la vie quotidienne » comme l’a précisé Miguel Almiron, membre de l’équipe scientifique du projet. 

"Penser, créer ensemble" Yann Toma, membre de l'équipe scientifique 

DEM’ARTS, entre démocratie et arts, s’intéresse à la mise en perspective de différentes données et permet aux chercheurs et chercheuses de lier à la fois les philosophies et les arts. En cela, les enjeux sont politiques, esthétiques et philosophiques pour créer un séminaire innovant qui questionne la démocratisation de l’art par le numérique. 

"Un séminaire innovant" Sandra Laugier, responsable du projet 

Les trois premières séances du séminaire ont lieu les 15 octobre, 14 novembre et 26 novembre 2024. Les trois autres séances se tiendront entre février et mars 2025. La séance inaugurale du 8 octobre a permis de présenter le projet mais aussi de mieux appréhender les thématiques abordées pour la suite du séminaire. Yann Toma a notamment abordé le concept de Post creation et Sandra Laugier le lien entre culture et démocratie aux prismes du pragmatisme et du numérique. 

Plus d’informations sur le projet et le programme du séminaire transversal. 

3 questions à Sandra Laugier, responsable du projet

Photo Astrid di Crollalanza © Flammarion

Ce projet est issu d'une collaboration entre deux unités de recherche (ACTE et ISJPS). Comment est venue cette idée de collaboration ?

Sandra Laugier : L'ISJPS est une unité CNRS qui rassemble des juristes et des philosophes, avec un groupe très divers et important de philosophes au Centre de philosophie contemporaine. Nous abordons tous les thèmes vivants de la philosophie contemporaine, notamment l'esthétique et la démocratie. Il a donc toujours été évident de travailler avec les collègues d'ACTE, qui sont certainement les plus proches de nous à l'université et dont nous partageons le dynamisme et l'attachement profond aux humanités comme lieu d'innovation. Le projet DEM’ARTS provient d'un lien solide constitué de longue date autour notamment des grands penseurs du pragmatisme étatsunien et de programmes théoriques partagés, ambitieux et visibles. 

Vous travaillez sur la question de la démocratie, en quoi était-ce essentiel d'intégrer cette question dans le projet DEM'ARTS ? 

Sandra Laugier : Mon intérêt pour les arts est lié à un idéal de démocratie culturelle qui dépasse l'idée classique de diffusion le plus large possible de contenus patrimoniaux ou artistiques dont le statut et la valeur sont tenus pour acquis. L’art n’est qu’un domaine de la vie culturelle, et les enjeux qu’il implique sont solidaires de la vie ordinaire des individus. Il faut réinscrire la question esthétique dans un horizon démocratique plus large, celui des pratiques ou gestes ordinaires, et par là changer de point de vue sur la culture populaire, régulièrement sous-estimée, alors qu’elle tient une place de plus en plus grande dans la vie de publics de toutes générations. Cette influence d’une culture accessible au plus grand nombre s’est démultipliée ces dernières décennies par le numérique. Elle joue un rôle majeur dans l’éducation aux valeurs et constitue concrètement la toile de fond esthétique et morale des aspirations démocratiques.

Enfin, une question sur le fond du projet : comment la pensée pragmatiste permet de dépasser les dichotomies traditionnelles (théorie/pratique, connaissance/technologie, action/idée, fait/valeur, corps/esprit) pour offrir une nouvelle compréhension de l'art à l'ère numérique ?

Sandra Laugier : Une approche pragmatiste conduit à interroger nombre de pratiques en vigueur dans les institutions patrimoniales et à élargir le point de vue adopté. Pour John Dewey en effet, « l’art est une qualité qui s’infiltre dans une expérience ». Toute expérience est en puissance esthétique, qu’elle s’attache à des objets consacrés par la tradition ou non, comme par exemple le rap comme l'a magnifiquement montré le documentaire d'ARTE sur DJ Mehdi.  Envisager les arts sous le double point de vue du pragmatisme et de la question numérique, c’est repenser la « Révolution numérique » et ses enjeux culturels et sociaux. L’esthétique pragmatiste vise à dépasser les anciens dualismes : théorie/pratique, connaissance/technologie, action/idée, fait/valeur, corps/esprit. Au lieu de se restreindre à une élite d’initiés, l’art devient vecteur de participation au monde. 
L’enjeu politique dans l’esthétique pragmatiste est de faire en sorte que les expériences esthétiques fortes soient ouvertes et abordables au public le plus large. En mettant l’accent sur l’expérience et l’agentivité, cette manière d’aborder le pragmatisme implique le public de la culture de façon large jusqu’à engager des phénomènes comme les cultures télévisées et les œuvres numériques. On peut ainsi envisager l’art numérique dans une perspective d’expériences partagées et de démocratisation de l’art, entamés depuis plusieurs décades mais sans doute accélérée par la percolation des technologies numériques dans divers champs culturels : arts visuels mais aussi musique, architecture et design.