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10 ans d’Études aréales sur l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et mondes musulmans

Fin septembre 2023, les GIS aréaux ont fêté leurs 10 ans d’existence lors d’une journée anniversaire organisée à l’Humathèque Condorcet. Il s’agit du GIS Asie, du GIS Études africaines en France et du GIS Moyen-Orient et mondes musulmans, dont Paris 1 Panthéon-Sorbonne est membre depuis leur création.

Un groupement d’intérêt scientifique (GIS) est une structure collaborative de recherche destinée à rassembler des compétences et des moyens autour d’une thématique scientifique transdisciplinaire. Les sciences humaines et sociales comptent onze GIS en France. Les GIS consacrés aux études dites aréales s’inscrivent dans la dynamique des recherches par aires culturelles ou grandes régions mondiales.

Les études aréales représentent aujourd’hui, en nombre de chercheurs et chercheuses, entre un cinquième et un quart des sciences humaines et sociales (SHS) en France. La grande force des études aréales réside dans les spécificités des scientifiques qui y sont impliqués, par leurs compétences et expertises dans leurs domaines, par la connaissance qu’ils ont des langues étrangères, par la fréquentation régulière de leurs terrains et par les relations étroites qu’ils entretiennent avec le tissu universitaire d’autres pays. Les GIS Asie, Études africaines en France et Moyen-Orient et mondes musulmans, réunissent plus d’une centaine d’unités de recherche, « ils sont les biens partagés des communautés qu’ils fédèrent » comme l’a précisé Sandra Aube Lorain, directrice de l'unité support aux études aréales du CNRS (UAR 2999) lors de la journée anniversaire à l’Humathèque Condorcet.

Dix ans après leur création, les trois GIS aréaux sont aujourd’hui des acteurs centraux des sciences humaines et sociales. Pour François-Joseph Ruggiu, ancien directeur de l’INSHS qui en 2016 a coordonné l’édition du livre blanc des études aréales, les GIS sont des structures particulièrement utiles car elles se trouvent à l’articulation des besoins des communautés de chercheurs et des directions des organismes de recherche (CNRS, écoles, universités…) : « Pour les communautés de chercheurs, les GIS ont répondu au besoin de se rassembler au sein d’une structure qui fédère et visibilise les recherches. Une structure qui permet l’articulation entre les chercheurs dispersés et les structures types UR ou UMR et qui apporte un soutien à des actions transversales et offre à la fois un tremplin et une protection. Pour les directions, le besoin s’inscrit dans leur capacité à penser la recherche à 10, 20 ans. Pour cela elles ont impérativement besoin de faire intervenir les communautés. Les GIS sont donc là pour faire de la prospective scientifique et assurer une veille sur la manière dont les études aréales arrivent à traiter l’ensemble des thématiques anciennes et émergentes ».

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Journées des études aréales, mercredi 27 septembre 2023, Humathèque Condorcet

Les études aréales entrent aujourd’hui dans une phase de consolidation. Elles sont un des vecteurs de l’internationalisation des SHS françaises qui va de pair avec la question du transfert des connaissances de la recherche publique vers la société civile et les pouvoirs publics. Les échanges entre les responsables et acteurs des trois GIS lors de la journée anniversaire ont permis de faire à la fois un état des lieux des actions passées et de se projeter dans l’avenir. Il a notamment été question de se positionner en tant qu’interlocuteurs des acteurs extra académiques (ministères des affaires étrangères, de l’éducation, de la culture…) pour leur apporter une expertise sur leurs spécialités, de s’inscrire dans les grands programmes de l’État et dans l’espace européen de la recherche via des projets et des collaborations, en s’appuyant sur les alliances et les universités européennes existantes.

 

Pierre Boilley : « Notre force, c’est l'ouverture sur le monde »

Pierre BoilleyRencontre avec Pierre Boilley, professeur émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l'Afrique subsaharienne contemporaine, du Sahara et des Touaregs. Il a été de 2004 à 2016 directeur du Centre d'études des mondes africains (CEMAf) devenu l’IMAF Institut des mondes africains (UMR 8171) en 2014, et a contribué à la création du GIS Études africaines en France, qu’il a dirigé de 2013 à 2018.

Pour quelles raisons avez-vous souhaité créer un réseau scientifique autour des études africaines ?

Pierre Boilley : Avant la création du GIS, les études africaines étaient divisées en petits laboratoires, en chapelles, avec parfois des inimitiés. Ce qui ne me paraissait pas très efficace, à la fois pour le travail et pour la visibilité de nos recherches. Je n'étais pas seul à le penser, puisque Jean-Pierre Chrétien et Dominique Darbon avaient publié des articles dans ce sens, et les deux concluaient au même problème qui était que les études africaines n'arrivaient pas à se structurer. Donc l'idée était de construire un réseau, en premier lieu pour que les chercheurs se connaissent, car beaucoup d’entre eux travaillaient seuls dans leurs coins. Ce réseau a été structuré dans un premier temps sous la forme d’un réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) qui nous a donné une première visibilité institutionnelle et qui nous a permis de lancer les premières rencontres des études africaines en 2006. Nous avons rassemblé beaucoup de collègues au CNRS à Paris, après avoir effectué un travail d'enquête pour savoir qui était qui. Il n'y avait pas de thème, le but était que chacun vienne et parle de ses recherches et de son domaine pour mettre en évidence les spécialités existantes. En conclusion de ces rencontres, l'idée qui avait germé entre nous était de se constituer en association. Marie-Françoise Courel, alors directrice scientifique des sciences humaines et sociales du CNRS s’est opposée à cette idée d’association, trop difficile à gérer, et a proposé plutôt la création d’un GIS, structure que personne ne connaissait vraiment dans l’assemblée. Mais l'idée du GIS était effectivement de créer un groupement beaucoup plus structuré, auquel il était possible d’affecter des fonds, des crédits de recherche et du personnel. Néanmoins, le GIS n’a pas été créé de suite, et c’est seulement à l’arrivée de François-Joseph Ruggiu à la tête des SHS, qui avait bien compris l'intérêt des études aréales et de ce type de groupement scientifique, que finalement le GIS a vu le jour, et que j’en suis devenu le directeur. Cela nous a donc permis de nous rassembler, de faire le lien entre les différents spécialistes des études africaines, toutes disciplines confondues des sciences humaines et sociales. Cela a permis également d’éliminer les chapelles et de nous rendre plus visibles parce que plus structurés, avec la possibilité aussi de faire des études transversales, etc.

Comment définissez-vous les études aréales ?

Pierre Boilley : C’est un grand débat. Au départ nous parlions d’aires culturelles, puis cela a été remis en cause. Nous avons débattu de cela lors de deux grands colloques à Paris, dont l’un était organisé par l’institut des Amériques. Personne ne savait trop comment remplacer ce terme, il y a eu beaucoup de littérature sur le sujet, beaucoup de débats et finalement nous sommes tombés d'accord sur ce terme d'études aréales, qui avait l’intérêt d’être relativement neutre. En fait, nous n'avons pas de mots pour définir ce qui n'est pas européen, on parle d'extra-européen. Nous préférons parler d'études aréales, parce que l'extra-européen, c'est autocentré, il s’agit de tous les espaces qui ne sont pas nous en quelque sorte. Après, effectivement, l'espace européen est aussi une aire elle-même, mais comme elle est ultradominante dans les études en France en général, en sciences humaines et sociales en tous les cas, on insiste plus sur les autres aires.

Quelles ont été les principales actions du GIS depuis sa création ?

Pierre Boilley : Notre premier projet a été la création d’un portail web sur les études africaines en France, avec un agenda des manifestations scientifiques, un annuaire des structures, un annuaire des chercheurs et enseignants-chercheurs, l’annonce des publications sur le champ, et un relais vers la deuxième grande action du GIS : Les rencontres des études africaines en France (REAF). Créées dans la lignée du rassemblement de 2006, elles ont été organisées au départ essentiellement entre les deux gros laboratoires qui existaient alors en France, le LAM (Les Afriques dans le Monde) à Bordeaux qui s'appelait à l'époque encore le CEAN (Centre d'étude d'Afrique noire) et le CEMAf que je dirigeais à Paris. Une autre édition s’est encore tenue à Paris, sous la responsabilité commune de plusieurs laboratoires qui n’était pas exclusivement consacrés aux Afriques. Nous avons ensuite décidé de valoriser et faire connaître des unités de recherche à Marseille puis à Toulouse, et prochainement à Nice, afin de décentraliser les REAF partout sur le territoire. En complément de ces événements, le LAM et l'IMAF ont organisé à la Sorbonne les rencontres européennes des études africaines qui ont rassemblé en 2015 près de 2500 personnes. Une autre action importante a bien sûr été l’édition en 2016 du livre blanc des études africaines en France. Par ailleurs, un lien fort a été tissé avec les autres GIS aréaux. Les membres des GIS ne sont pas les laboratoires, ce sont les tutelles des laboratoires, c’est pour cela que Paris 1 Panthéon-Sorbonne est membre des trois GIS. Nous avons eu l’idée de réunir tous nos membres dans le cadre d’assemblées générales Inter GIS, pour montrer la vitalité des études aréales. Nous avons également mis en place un prix de thèse pour rendre visible les études africaines et inciter des étudiants à travailler dans ce domaine.

Le GIS prend-il également des positions publiques ?

Pierre Boilley : Tout à fait, je pense que les GIS doivent être des leviers et faire pression à propos de certains sujets. La dernière position publique importante des trois GIS a porté sur les visas. Nous avons écrit et publié une Tribune dans Le Monde pour alerter sur l’incompatibilité de plus en plus forte entre une politique scientifique qui nous encourage à développer des projets et à accroître nos collaborations à l’international et une politique des visas qui restreint, voire empêche, la mobilité de nos partenaires académiques. Si l’on continue comme ça, on se coupe du monde, on s’appauvrit, et en matière de rayonnement scientifique, c’est catastrophique. Si les coopérations avec les collègues, africains notamment, disparaissent, ils se tournent vers d'autres espaces.

Quelles sont selon vous les spécificités et les forces des études aréales ?

Pierre Boilley : Je pense que les chercheurs en études aréales ont en commun une certaine passion pour des sujets qui dépassent nos cadres disciplinaires respectifs. Notre point fort, c’est l'ouverture sur le monde. Nous nous intéressons au monde avec la volonté, et c'est loin d’être gagné, de changer les mentalités en France vis-à-vis des aires que nous étudions, et particulièrement de l'Afrique en ce qui me concerne. L'Afrique reste toujours un peu dans l'esprit du grand public comme une terra incognita qui n’avait pas d’histoire avant l'arrivée des Européens. Nous avons cette force de nous battre, et cette faiblesse de ne pas y arriver assez vite, d'affirmer en permanence que l'Afrique a une histoire de très longue durée, et qu’elle n'a pas été un continent isolé du monde jusqu'à l'arrivée des Européens. On rappelle par exemple, qu’une grande partie de l'or utilisé au Moyen Âge en Europe et qui a transité jusqu'en Asie, venait des mines africaines et notamment du Sahel. Qu'il y avait des liaisons commerciales entre l’Afrique et la Chine dès le IXème, Xème siècle, peut-être même avant. On souhaite également montrer la complexité du continent, et d'ailleurs dans les études africaines on parle souvent des Afriques. Il n'y a pas qu’une Afrique, rien qu'au Mali par exemple il existe des dizaines de langues différentes ! Nous avons en commun des convictions, cette idée que nous devons transmettre des savoirs méconnus, mais que nous avons aussi la responsabilité de faire évoluer les mentalités, avec une forme de militantisme, cette volonté forte de réduire le racisme dans nos sociétés.

Pour en savoir plus

Les trois GIS aréaux ainsi que le consortium Distam (Digital Studies Africa, Asia, Middle East) de l’IR Huma-Num, sont regroupés sur le Campus Condorcet depuis 2021, au sein de l'unité support aux études aréales (UAR2999)

 

UAR2999 - Etudes africaines en France - Groupement d'intérêt scientifique (GIS)

Héritier du Réseau Thématique Pluridisciplinaire Études africaines, le GIS des études africaines en France a été créé afin de permettre une meilleure visibilité des études africaines en France et au-delà. Cette structure se veut un lien entre l’ensemble des laboratoires et des chercheurs de ce domaine, en particulier les chercheurs isolés dans des unités dont la thématique est différente.

Unités de recherche Paris 1 Panthéon-Sorbonne affiliées :

Ressources :

 

UAR2999 - GIS Asie - French Academic Network on Asian Studies

Le GIS Asie est un lieu de rassemblement, de concertation et d’initiatives de la communauté des études asiatiques françaises et belges. Il rassemble environ 1500 chercheurs, répartis dans 41 unités de recherche affiliées, qui dépendent de 26 établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Unités de recherche Paris 1 Panthéon-Sorbonne affiliées :

Ressources :

 

UAR2999 - Moyen-Orient et Mondes Musulmans - Groupement d'intérêt scientifique

La mission du GIS MOMM est de soutenir, fédérer et visibiliser les études sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans en France. Il est un espace d’échanges, de concertations et d’initiatives au sein de la communauté académique. Le GIS regroupe près d’une quarantaine de centres de recherche français. Il est soutenu par le CNRS et par 26 universités et grandes écoles.

Unités de recherche Paris 1 Panthéon-Sorbonne affiliées :

Ressources :

 

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Les Études aréales (Collection Athéna / 2016)  – Synthèse coordonnée par François-Joseph Ruggiu. Cet ouvrage de synthèse reprend les principales analyses des livres blancs édités par les GIS à partir de 2013-2014. Il ouvre une réflexion collective sur un ensemble de préconisations partagées par les GIS études aréales.

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Photo de couverture : © Rubis Le Coq, L’arc-en-ciel avant la tempête, Guinée, Conacry, Dixinn, février 2018